Un hebdomadaire juridique paraissant le lundi a consacré ces derniers temps pas moins de trois tribunes à une grave question, qui préoccupe légitimement l’opinion publique, celle des universitaires « cumulards » (V., AJDA 2018, p. 2161 ; AJDA 2019, p. 139 et p. 545). Alors qu’un premier auteur (B. Toulemonde) s’interrogeait sur l’opportunité de maintenir un régime permissif vu les risques d’abus avérés, un deuxième (C. Chauvet) est venu lui donner la réplique en défendant le statu quo avant qu’un troisième (C. Fortier) n’enfonce finalement de gros clous dans le cercueil.
Notons le tour un peu théologique du débat, le problème – plus large – étant finalement celui des rapports des membres de ce clergé laïc avec le siècle. Et empruntons aux protagonistes de la controverse (qui se reconnaîtront), façon patchwork. Nous sommes, écrivent-ils, dans une « période où le métier devient plus absorbant […] du fait du nombre et de l’hétérogénéité des étudiants, du développement de la recherche et du travail généré par la gestion des établissements ». Conséquemment, « Tout universitaire qui se consacre […] à son métier sait qu’il lui est désormais impossible de cumuler [une lourde charge extérieure] avec ses divers enseignements, avec le suivi de ses étudiants et doctorants, avec ses travaux de recherche, avec aussi les responsabilités administratives, pédagogiques ou scientifiques qui lui incombent ».
Tout cela est affreusement vrai et l’on applaudit des deux mains un constat si lucide, quitte à entonner à cette occasion – après bien d’autres – une complainte n’ayant jamais fendu le cœur de quiconque hors de l’Alma Mater (tant l’image d’une corporation oisive a la vie dure). Nos gouvernants, issus pour la plupart de l’univers merveilleux des grandes écoles et qui se gardent d’ailleurs soigneusement de mélanger leur progéniture avec la plèbe des facs (à la notable exception, on s’en souvient, de Nicolas Sarkozy), laissent pourrir un système dont le principal intérêt consiste à leurs yeux à enjoliver les statistiques du chômage. Sur le Titanic, l’orchestre joue encore tant bien que mal avec les moyens du bord, tandis que l’eau monte et que les plus malins sont partis en crawl vers des horizons moins sinistres. L’universitaire moyen (pléonasme) est aujourd’hui écrasé par des charges administratives qu’alourdit chaque jour davantage une nomenklatura digne de l’Union soviétique. Il doit affronter des amphis atones (auxquels le Wifi permet tout de même de tromper l’ennui : Facebook, Youtube, Youporn…), où l’inculture fait rage. Et il occupe des « interruptions pédagogiques » n’ayant cessé de fondre à (tenter de) maintenir une activité scientifique – Publish or Perish – qui s’exerce maintenant en liberté surveillée (puisque, pour obtenir trois sous, il faut courber l’échine devant les instances – locales ou nationales – distribuant une aumône indexée sur l’air du temps).
Devant l’ambiance vespérale de cette toile à la Soulages, on se demande comment certains « enseignants-chercheurs » des facultés de droit – accros au Red Bull, voire à des substances plus roboratives ? Superhéros dignes des Marvels ? – trouvent encore la force de s’infliger une double peine. Les plus dévoués parviennent en effet à exercer ce sacerdoce tout en défendant dans le même temps la veuve et l’orphelin impécunieux ; ceci sur le mode Fregoli ou Dark Vador, en quittant prestement la lumière de la science et la toge académique d’un rouge défraîchi pour rejoindre le Côté Obscur et revêtir la robe noire de l’avocat.
Pr O’ Four & Me Hautmoulin, 1er avril 2019