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La doctrine et les droits de l’homme : penser et/ou militer ?

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Si le positionnement du juriste universitaire Ă  l’égard des droits de l’homme constitue une question classique et dont l’importance a Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement soulignĂ©e, le renouvellement en France des dĂ©bats sur le rĂŽle de la doctrine juridique invite Ă  revenir sur le couple penser/militer pour le rĂ©interroger dans le contexte actuel. Alors que les deux perspectives peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme nĂ©cessaires, il importerait de les distinguer dans la mesure du possible, puisqu’un tel effort permettrait d’évaluer les apports de chacun des différents points de vue sur l’objet, tout en favorisant la formation d’un dĂ©bat Ă  la fois Ă©clairĂ© et Ă©clairant. La prĂ©sente contribution s’efforce alors de faire ressortir les causes de la confusion que suscite le sujet, les difficultĂ©s Ă  cerner a priori cette frontiĂšre entre ces deux activitĂ©s, avant de s’attacher Ă  dĂ©gager des pistes permettant de les distinguer d’une façon plus fructueuse.

CĂ©dric Roulhac, MaĂźtre de confĂ©rences Ă  l’UniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne et membre de l’ISJPS (UMR 8103)

 

 

Le prĂ©sent texte est une contribution proposĂ©e dans le cadre du colloque « Le droit des libertĂ©s en question(s) » les 28-29 mars 2019 Ă  l’UniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne Ă  l’initiative de M. DuprĂ© de Boulois, M. Milleville et M. TiniĂšre et co-organisĂ© par trois laboratoires (ISJPS UMR 8103 UniversitĂ© Paris 1 – CRJ EA 1965 UniversitĂ© Grenoble-Alpes – IDEDH UniversitĂ© de Montpellier).

 

Le positionnement du juriste universitaire Ă  l’égard des droits de l’homme constitue une question classique et dont l’importance a Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement soulignĂ©e. Si celle-ci se prĂȘte dans l’absolu Ă  des approches diverses, la formulation retenue du sujet retient l’attention en ce qu’elle invite Ă  envisager deux types d’activitĂ©s, l’une consistant Ă  penser les droits de l’homme, l’autre Ă  militer en leur faveur ou dĂ©faveur, alors que leur dissociation constitue un enjeu en soi.

Il est connu que de nombreux penseurs, spĂ©cialement depuis les travaux prĂ©curseurs de Bentham[1], ont attirĂ© l’attention sur les droits de l’homme, plus particuliĂšrement sur le flou qui les caractĂ©rise non seulement en tant que produits d’une philosophie jusnaturaliste, mais aussi en tant que prĂ©tentions intĂ©grĂ©es Ă  la structure des ordres juridiques par les DĂ©clarations de droits. Du point de vue de la thĂ©orie du droit, Kelsen a regrettĂ© au cours de la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle le triomphe de la « phrasĂ©ologie » des droits de l’homme consistant en la formulation abstraite de principes idĂ©aux renvoyant Ă  des valeurs Ă©minemment dĂ©licates Ă  cerner – justice, libertĂ©, Ă©galitĂ©, etc. –, et qui font des droits de l’homme un objet difficile Ă  saisir[2]. Cette mĂ©fiance, voire dĂ©fiance tenant au caractĂšre nĂ©buleux de ces droits et Ă  leurs rapports aux valeurs revenait Ă  interroger, dĂ©jĂ , la capacitĂ© du juriste Ă  les traiter de façon objective, et, in fine, la possibilitĂ© de concevoir une frontiĂšre entre des activitĂ©s engagĂ©es et d’autres distanciĂ©es sur le plan axiologique.

En France, la problĂ©matique de la posture du chercheur Ă  l’égard du droit plus gĂ©nĂ©ralement a suscitĂ© d’importants dĂ©bats qui ont mis en Ă©vidence sa sensibilitĂ© et un cadre de pensĂ©e dominant. De nos jours, les deux termes du couple penser/militer renvoient ainsi, a priori, Ă  deux reprĂ©sentations opposĂ©es et controversĂ©es. Il a en effet frĂ©quemment Ă©tĂ© relevĂ© que la figure du « juriste militant » ou « engagé » est une figure repoussoir, dĂ©considĂ©rĂ©e, en ce qu’elle vient heurter l’idĂ©e rĂ©pandue qu’un juriste savant devrait demeurer objectif dans son activitĂ© professionnelle[3]. Et, Ă  l’autre extrĂ©mitĂ©, la figure solennelle du « juriste scientifique » qui se contente de penser le droit provoque elle-mĂȘme un certain scepticisme, voire une suspicion : celui qui prĂ©sente ses productions comme neutres se bercerait d’illusions en occultant le fait qu’elles peuvent exercer une influence sur le droit. On retrouve ici les critiques qu’ont pu formuler Ă  l’égard du positivisme juridique, par exemple, Henri Dupeyroux, qui remarquait notamment qu’« Ă  tout instant et quoi qu’on fasse, le juriste est fatalement entraîné de l’étude de la lex lata à la considération de la lex ferenda »[4], ou bien plus rĂ©cemment DaniĂšle Lochak qui, dans le cadre d’un fameux dialogue avec Michel Troper, mettait en Ă©vidence la portĂ©e naturalisante et lĂ©gitimante du discours descriptif[5].

Dans le champ spĂ©cifique des droits de l’homme, envisagĂ©s de façon consensuelle en tant que prĂ©rogatives attribuĂ©es par le droit aux individus en raison de leur appartenance Ă  une commune humanitĂ©, la thĂ©matique apparaĂźt actuellement d’autant plus intĂ©ressante dans le contexte national que les dĂ©bats semblent plus vifs que jamais. Des Ă©volutions rendent de plus en plus confuse la distinction penser/militer. D’un cĂŽtĂ©, les droits de l’homme occupent une place croissante dans les rapports sociaux, avec une visibilitĂ© qui confĂšre au problĂšme de leur effectivitĂ© une prĂ©gnance Ă©vidente, ce qui n’est pas sans interroger le rĂŽle des juristes lorsqu’ils sont amenĂ©s Ă  travailler de telles problĂ©matiques. D’un autre cĂŽtĂ©, des mutations touchent les activitĂ©s mĂȘmes des auteurs qui diversifient leurs points de vue sur la matiĂšre. À titre d’exemple, les prises de position dans le dĂ©bat public Ă  l’égard des mesures relevant de l’état d’urgence, ou avant cela du « mariage pour tous », illustrent bien cette configuration, tout en rendant finalement difficile de dissocier les activitĂ©s consistant Ă  militer ou penser les droits de l’homme.

Les Ă©volutions interpellent dĂšs lors quant aux positionnements qu’il serait possible d’adopter, ou qu’il conviendrait d’adopter de la part du chercheur vis-Ă -vis de son objet. Il apparaĂźt qu’au-delĂ  de sa dimension thĂ©orique, le sujet a des implications concrĂštes, puisqu’il n’est guĂšre contestĂ© que le chercheur par ses travaux peut exercer une influence Ă  la fois sur le droit positif, et sur sa discipline, ou bien conditionner la connaissance des phĂ©nomĂšnes juridiques.

Cela souligne l’intĂ©rĂȘt de revenir sur le couple penser/militer pour le rĂ©interroger dans le contexte actuel. À cette fin, il est possible dans un premier temps de faire ressortir les causes de la confusion que suscite le sujet, les difficultĂ©s Ă  cerner a priori cette frontiĂšre entre ces deux activitĂ©s, pour, dans un second temps, chercher Ă  dĂ©gager des perspectives, c’est-Ă -dire adopter une posture plus constructive qui, si elle ne cherche pas Ă  prĂŽner une activitĂ© au dĂ©triment d’une autre, permettrait de les distinguer de façon fructueuse.

 

I. Des difficultés à saisir a priori la distinction

 

Les ambiguĂŻtĂ©s attachĂ©es Ă  la distinction, il convient de le reconnaĂźtre, sont plurielles. Celles-ci tiennent tant Ă  la pluralitĂ© des modĂšles scientifiques (A), qu’à la diversitĂ© des activitĂ©s menĂ©es par les auteurs (B), alors que la question de la spĂ©cificitĂ© de l’enjeu en matiĂšre de droits de l’homme ne peut manquer de se poser (C).

 

 A. La pluralité des modÚles scientifiques

 

Au-delĂ  des Ă©vidences et des intuitions propres Ă  chacun, les termes penser et militer peuvent Ă  la rĂ©flexion ĂȘtre compris de façon plus ou moins prĂ©cise, et plus ou moins forte, de sorte que les reprĂ©sentations que l’on peut s’en faire seront plus ou moins Ă©loignĂ©es. Penser, c’est selon le sens commun du mot concevoir par l’esprit, par l’intelligence. Mais, dans le domaine acadĂ©mique, cela peut aussi impliquer de se distancier, de concevoir de façon neutre, voire de s’astreindre Ă  une dĂ©marche purement descriptive. Militer, d’aprĂšs le sens ordinaire encore, ce serait adopter un parti-pris subjectif dans une recherche d’influence, et si l’on envisage spĂ©cifiquement le travail sur le droit, ce pourrait ĂȘtre agir pour ou contre, avec un impact sur le droit positif ou non. Dans une conception forte, cela impliquerait ainsi de recommander ou prescrire une action donnĂ©e, voire de prendre part Ă  une lutte pour faire prĂ©valoir une idĂ©e.

Opposition forte penser/militer. Sur cette base, il est tentant d’envisager en premiĂšre approche le couple penser/militer dans un rapport d’opposition, Ă  la lueur des distinctions assez systĂ©matiquement effectuĂ©es entre doctrine, ou dogmatique, et science juridiques. La dĂ©marche revient Ă  dissocier, comme l’expose notamment Jacques Chevallier, d’un cĂŽtĂ©, les tĂąches de juristes qui façonneraient une prĂ©sentation savante du droit positif selon un ensemble orientĂ© de propositions visant Ă  influencer le droit Ă  venir, et, de l’autre cĂŽtĂ©, celles qui se rangeraient derriĂšre une description neutre du droit, dans une position cette fois d’extĂ©rioritĂ© au systĂšme juridique[6]. Au regard de ce schĂ©ma, le juriste peut soit, d’un point de vue scientifique penser le droit de façon dĂ©tachĂ©e, soit d’un point doctrinal militer et exercer une influence sur le droit positif.

Mais d’autres perceptions conduisent Ă  envisager tout autrement le couple penser/militer, en remettant en cause l’idĂ©e classique et, semble-t-il, encore ancrĂ©e dans les reprĂ©sentations communes selon laquelle les activitĂ©s relĂšveraient de dĂ©marches objectivement et radicalement diffĂ©rentes.

Opposition relative penser/militer. Certains thĂ©oriciens, dont François Ost et Michel Van de kerchove, s’émancipent ainsi de cette structuration binaire doctrine/science en apprĂ©hendant l’activitĂ© doctrinale au travers une Ă©chelle de la scientificitĂ©. Selon cette approche, il n’y aurait pas une science du droit, mais des sciences du droit et il conviendrait de penser une gradualitĂ© en fonction du positionnement du chercheur par rapport Ă  l’idĂ©al d’objectivitĂ©[7]. Autrement dit, la doctrine peut encore simplement penser ou bien aussi militer, mais ces activitĂ©s n’apparaissent cette fois pas exclusives l’une de l’autre : elles peuvent, dans cette approche comprĂ©hensive, se concilier dans une plus ou moins large mesure en fonction du positionnement adoptĂ© par chacun.

Dissolution de l’opposition penser/militer. Par ailleurs, des auteurs entreprennent de dĂ©passer l’opposition doctrine/science d’une autre façon, en concevant pour le juriste savant un rĂŽle fondamentalement militant. On sait ainsi qu’un thĂ©oricien comme Luigi Ferrajoli lui attribue une mission consistant Ă  Ă©valuer le droit positif, Ă  dĂ©noncer ce qu’il a d’insatisfaisant en termes de garantie des droits de l’homme en particulier (en dĂ©voilant les « lacunes » et « antinomies » du systĂšme juridique, selon la terminologie du juriste), pour finalement prescrire aux autoritĂ©s d’agir d’une certaine façon[8]. Autrement dit, il s’agit de travailler le droit de façon engagĂ©e, de sorte que les deux termes du couple penser/militer, non seulement ne s’excluent plus, mais, au contraire, se confondent parfaitement.

Sans qu’il soit possible ici de rechercher l’exhaustivitĂ©, entreprise fastidieuse tant les modĂšles et les dĂ©finitions de ce que sont la doctrine et la science sont multiples et variĂ©s, l’essentiel est que la question de savoir si les auteurs peuvent penser et/ou militer dans le champ des droits de l’homme est Ă  ce premier niveau affaire de choix. Une seconde source de difficultĂ©s tient Ă  la diversitĂ© des tĂąches effectuĂ©es par les auteurs.

 

B. La diversité des activités du juriste

 

Le phĂ©nomĂšne de diversification des tĂąches auxquelles se livrent les auteurs n’est plus Ă  dĂ©montrer. Il reste toutefois Ă  apprĂ©cier son incidence sur le sujet, en distinguant Ă  tout le moins deux niveaux.

Évolutions sociologiques de la doctrine. D’abord, des Ă©volutions sociologiques brouillent inĂ©vitablement les frontiĂšres que l’on pourrait ĂȘtre tentĂ©s de tracer en fonction du titre auquel l’auteur produit un discours sur les droits de l’homme, ou du cadre dans lequel il s’exprime, selon qu’il pense ou milite. En particulier, tandis que les universitaires accomplissent en principe les deux fonctions de recherche et d’enseignement, un nombre croissant d’entre eux va prendre part Ă  des activitĂ©s associatives, des dĂ©bats publics, s’exprimer sur des blogs juridiques, voire assumer une fonction politique. Sera-t-on alors amenĂ©s Ă  considĂ©rer que les auteurs pensent les droits de l’homme, ou bien adoptent un positionnement militant, et selon quels critĂšres prĂ©cisĂ©ment ? Par ailleurs, des membres de juridictions prennent part Ă  l’exercice d’une fonction doctrinale. Or, Ă  ce niveau encore, il est inĂ©vitable de se demander s’il s’agit de penser les droits de l’homme ou de militer, dans la mesure oĂč leurs productions favorisent la circulation des interprĂ©tations, interprĂ©tations qu’ils dĂ©veloppent dans leur activitĂ© juridictionnelle avant de les reprendre dans leur activitĂ© doctrinale[9].

Ambivalence des tĂąches accomplies par la doctrine. Ensuite, la nature mĂȘme des tĂąches accomplies dans le cadre de la recherche juridique peut renforcer la confusion. Dans un souci de penser les droits de l’homme, par l’interprĂ©tation des textes en vigueur, ou la systĂ©matisation des rĂšgles, une activitĂ© dĂ©veloppĂ©e a priori de façon neutre peut parfois conduire Ă  agir sur le droit, et cela sans que la vĂ©ritable intention de l’auteur puisse ĂȘtre connue. En consĂ©quence, la ligne frontiĂšre entre les dĂ©marches consistant Ă  penser ou militer se rĂ©vĂšle bien complexe Ă  tracer concrĂštement.

À titre d’exemple, le travail rĂ©sidant dans l’interprĂ©tation cognitive, qui consiste Ă  dĂ©gager les diffĂ©rentes significations normatives envisageables d’un Ă©noncĂ© juridique sans en retenir une en particulier en la considĂ©rant comme correcte[10], peut s’avĂ©rer ambigu. En cherchant Ă  dĂ©limiter la sphĂšre du concevable, on peut en effet favoriser ou au contraire exclure certaines normes. Les auteurs qui, comme GĂ©ny[11] ou le doyen Vedel[12], ont Ă©prouvĂ© la portĂ©e du PrĂ©ambule de la Constitution de 1946 Ă  la suite de son adoption ont ainsi dessinĂ© un cadre normatif dont il n’est pas vraiment douteux qu’il a influencĂ© les acteurs juridiques et notamment les juridictions.

Il en va de mĂȘme avec la tĂąche de systĂ©matisation du droit. Il est gĂ©nĂ©ralement admis que quand le juriste se fait « faiseur de systĂšmes », selon l’expression de Rivero, par les constructions proposĂ©es, par les concepts qu’il mobilise, par les donnĂ©es qu’il cible, il participe Ă  crĂ©er un ordre de reprĂ©sentations qui peut ne pas rester sans incidence sur le droit en vigueur.

S’agissant de la dĂ©monstration mĂȘme des contributions, s’il y a Ă©videmment dans l’absolu une diffĂ©rence trĂšs nette entre la dĂ©marche qui consiste Ă  restituer l’état du droit positif et celle qui recommande certaines modifications de ce droit, lĂ  encore, la frontiĂšre peut se rĂ©vĂ©ler plus tĂ©nue qu’il n’y paraĂźt. Les deux dimensions peuvent en effet se mĂȘler Ă©troitement, y compris au sein d’un mĂȘme travail, comme l’illustraient dĂ©jĂ  les travaux classiques de Duguit[13], et l’on ne peut pas occulter que, quand bien mĂȘme la recherche est envisagĂ©e comme neutre dans sa rĂ©alisation, le rĂ©sultat de cette recherche peut contribuer à agir sur le droit.

Enfin, si ces remarques valent pour le droit de façon gĂ©nĂ©rale, la question se pose inĂ©vitablement de la spĂ©cificitĂ© de l’enjeu en matiĂšre de droits de l’homme.

 

 C. Des difficultĂ©s spĂ©cifiques aux droits de l’homme

 

L’analyse des activitĂ©s peut apparaĂźtre d’autant plus malaisĂ©e en matiĂšre de droits de l’homme que la question du positionnement du chercheur Ă  l’égard de son objet d’étude prĂ©senterait certaines spĂ©cificitĂ©s s’agissant de ces droits. Plus prĂ©cisĂ©ment, il s’agit ici moins de dĂ©fendre l’idĂ©e que la problĂ©matique prĂ©sente des caractĂ©ristiques inĂ©dites lorsque les droits de l’homme sont en jeu, que d’émettre l’hypothĂšse que certains problĂšmes posĂ©s au juriste de façon gĂ©nĂ©rale s’intensifient avec ces prĂ©tentions.

PrĂ©supposĂ©s. Un premier niveau de difficultĂ© rĂ©siderait ainsi dans les prĂ©supposĂ©s attachĂ©s aux droits de l’homme. Si l’on admet que ces droits constituent une catĂ©gorie juridique spĂ©cifique, celle-ci charrie avec elle, comme toute catĂ©gorie de droits sans doute dans une certaine mesure, diverses reprĂ©sentations sur le droit en gĂ©nĂ©ral, sur l’État, ou leur fondement, qui ne peuvent ĂȘtre neutres[14]. Par exemple, en prĂ©supposant que les droits de l’homme trouvent leur fondement dans le principe de dignitĂ© de la personne humaine, on pourra de façon dĂ©libĂ©rĂ©e chercher Ă  exclure de leur bĂ©nĂ©fice les personnes morales, dont les entreprises[15].

Conceptions. DeuxiĂšmement, les difficultĂ©s se manifesteraient sur le plan des choix terminologiques et des significations ou connotations que les mots vĂ©hiculent. À ce niveau, on mobilise quotidiennement un certain vocabulaire en perdant facilement de vue sa charge axiologique et ses implications les plus sensibles. Les mots ne sont pas neutres. Or les juristes peuvent ĂȘtre ainsi amenĂ©s Ă  utiliser un vocabulaire promu par des associations au service de revendications particuliĂšres. À titre d’exemple, l’expression « droit opposable », d’usage frĂ©quent dans le discours doctrinal, est Ă  l’origine d’un discours militant des associations pour rendre le droit au logement plus effectif et s’est trouvĂ©e dĂšs lors chargĂ©e de symboles et de connotations axiologiques[16].

DegrĂ© d’abstraction des droits de l’homme. TroisiĂšme niveau de difficultĂ©, non dĂ©pourvu de liens avec les prĂ©cĂ©dents, qui peut ĂȘtre identifiĂ© Ă  fin d’illustration : le degrĂ© d’abstraction des droits de l’homme. Comme l’avait remarquĂ© Michel Villey, Ă  la suite de Bentham et de Kelsen notamment, le langage des droits de l’homme se prĂ©sente comme particuliĂšrement vague et ambigu[17]. Que l’on songe Ă  des notions telles que celles d’environnement sain, de protection de la santĂ©, ou de juste indemnitĂ© en cas de privation de propriĂ©té : leur comprĂ©hension dĂ©pendra de ceux qui les mobilisent, et potentiellement de conceptions philosophiques ou Ă©thico-morales qu’ils ont au prĂ©alable. C’est pourquoi d’ailleurs les dĂ©bats autour de la signification de telles notions confirment l’idĂ©e dĂ©fendue par les thĂ©oriciens que le degrĂ© d’abstraction des droits de l’homme laisse place Ă  un fort subjectivisme[18]. ConcrĂštement, un logement dĂ©cent, ce sera pour certains un toit prĂ©sentant des garanties minimales de confort, fut-il temporaire, tandis que la dĂ©cence du logement impliquera pour d’autres la sĂ©curitĂ© lĂ©gale de l’occupation, l’existence d’équipements et infrastructures voire le respect du milieu culturel. En fonction d’une prĂ©comprĂ©hension plus ou moins exigeante des droits de l’homme, il est ainsi possible de conclure Ă  des violations ou non de ces droits par des jugements finalement ambivalents, les perspectives consistant Ă  penser ou militer pouvant alors se rĂ©vĂ©ler proches.

Finalement, on en viendrait Ă  se demander comment traiter des enjeux tels que ceux des fondements des droits de l’homme, ou de leur effectivitĂ©, sans aucun parti-pris, et, Ă  un stade de rĂ©flexion plus gĂ©nĂ©ral, comment distinguer une opinion d’une vĂ©ritĂ© scientifique quand il s’agit de valeurs. Souligner les difficultĂ©s de l’entreprise ne revient cependant pas Ă  nier cette possibilitĂ©, dĂšs lors que le dĂ©veloppement des rĂ©flexions Ă©pistĂ©mologiques offre des pistes pour concevoir une frontiĂšre entre un travail qui s’implique dans le fonctionnement de l’ordre juridique et un travail qui cherche Ă  l’inverse Ă  s’en dĂ©tacher.

 

II. Des perspectives pour une dissociation bénéfique

 

Les champs sont assurĂ©ment vastes qui consistent Ă  militer, c’est-Ă -dire Ă  affirmer un positionnement subjectif, sur le plan Ă©thique ou politique, ou bien Ă  se livrer Ă  un travail assumĂ© de proposition. Dans ce sens, Jean Rivero a par exemple dĂ©fendu qu’il reviendrait au juriste universitaire, dans son activitĂ© savante, de mettre ses compĂ©tences au service de l’effectivitĂ© des droits de l’homme afin d’élaborer des mĂ©canismes performants pour toujours mieux les protĂ©ger[19]. NĂ©anmoins, dĂšs lors que l’on admet que la recherche est, comme le relĂšve Bachelard, une investigation en vue de découvrir quelque chose qui n’est pas perceptible immédiatement[20], non seulement il y a place pour des dĂ©marches qui recherchent une distanciation vis-Ă -vis de l’objet, mais ces dĂ©marches deviennent de plus en plus intĂ©ressantes dans le champ des droits de l’homme.

Si les deux perspectives peuvent donc ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme nĂ©cessaires et fructueuses, il importerait de les distinguer dans la mesure du possible, puisqu’un tel effort devrait permettre d’évaluer les apports de chacun des différents points de vue sur l’objet, et en dĂ©finitive tout simplement de favoriser un dĂ©bat qui soit Ă  la fois Ă©clairĂ© et Ă©clairant.

La solution passerait alors par un approfondissement des implications respectives du travail de chacun, pour que tout chercheur puisse avoir conscience de la nature exacte du travail qu’il effectue, de ce qu’il entend apporter Ă  la connaissance. Cela implique la construction du point de vue du chercheur Ă  l’égard Ă  la fois du droit en gĂ©nĂ©ral (A), et des droits de l’homme en particulier, domaine pour lequel la frontiĂšre pourra se rĂ©vĂ©ler particuliĂšrement fĂ©conde (B).

 

A. Construire le « point de vue » du chercheur Ă  l’égard de l’objet

 

La dĂ©termination du point de vue du chercheur prĂ©suppose toute une batterie d’enjeux qu’il n’est possible d’aborder que trĂšs succinctement dans le cadre de cette contribution, en nous limitant Ă  deux aspects parmi les plus centraux et discutĂ©s actuellement[21].

Se livrer Ă  l’« aveu thĂ©orique ». En premier lieu, cela consisterait Ă  fournir un effort minimal d’explicitation de son angle d’approche et de ses objectifs. On retrouve lĂ  le problĂšme majeur de l’intentionnalitĂ©. Il s’agirait notamment de prĂ©ciser d’éventuels prĂ©supposĂ©s ontologiques (sur le droit) et Ă©pistĂ©mologiques (sur la science du droit), ce qui peut se traduire par l’adhĂ©sion Ă  une philosophie du droit particuliĂšre (qu’il s’agisse d’un jusnaturalisme[22], d’un positivisme – normativiste, empiriste, etc.[23] -, ou de tout autre chose), par l’adhĂ©sion Ă  une Ă©cole de pensĂ©e[24], ou bien plus gĂ©nĂ©ralement, d’expliciter sa perspective et ses finalitĂ©s qui conduisent Ă  un travail engagĂ© axiologiquement ou prescriptif, donc militant, ou bien neutre voire descriptif. Une telle dĂ©marche est d’autant plus opportune que les considĂ©rations politiques sont Ă  ce niveau loin d’ĂȘtre absentes. Ainsi que le relĂšve Marie-Anne Cohendet, « le choix d’adopter telle ou telle conception du droit peut ĂȘtre influencĂ© par des conceptions politiques et/ou relatives Ă  l’idĂ©e que l’on se fait d’une science : ce choix peut ĂȘtre effectuĂ© a priori, par conviction, ou a posteriori pour contester ou lĂ©gitimer telle pratique des juges ou des gouvernants »[25]. Les travaux dĂ©jĂ  mentionnĂ©s de Luigi Ferrajoli, rĂ©solument dĂ©diĂ©s au projet de dĂ©noncer les phĂ©nomĂšnes d’ineffectivitĂ© des droits de l’homme et in fine le « droit illĂ©gitime », en sont une parfaite illustration. L’« aveu thĂ©orique »[26] apparaĂźt dĂšs lors comme la condition premiĂšre d’une discussion fĂ©conde.

Dissocier la qualitĂ© de juriste de celle de citoyen. On pourrait en second lieu dissocier sa qualitĂ© de juriste universitaire de celle de citoyen, comme y invite en particulier Norberto Bobbio. La dĂ©marche conduirait alors Ă  prĂ©ciser, lorsque l’on prend part Ă  un dĂ©bat public ou Ă  une pĂ©tition, si la prise de position repose sur un savoir proprement juridique ou bien procĂšde d’un jugement de valeur personnel. Certes, il ne peut ĂȘtre ignorĂ© que cette distinction est parfois accueillie avec scepticisme, voire disqualifiĂ©e, Ă©tant dĂ©crĂ©dibilisĂ©e au motif qu’elle serait artificielle et impliquerait une certaine schizophrĂ©nie de la part du chercheur. L’expĂ©rience inciterait pourtant Ă  la prendre au sĂ©rieux pour en discuter le principe de mĂȘme que les conditions de rĂ©alisation, dĂšs lors qu’elle atteste que des juristes parmi les plus attachĂ©s Ă  l’exigence de neutralitĂ© axiologique ont pu s’engager, en tant que citoyens, dans des causes fortes, en clarifiant leur position et en donnant finalement sens Ă  la distinction[27]. Le dĂ©veloppement rĂ©cent de travaux consacrĂ©s aux modalitĂ©s de l’engagement pour le juriste universitaire incite certainement Ă  approfondir les rĂ©flexions en ce sens[28].

 

B. Vers une pensĂ©e neutre en matiĂšre des droits de l’homme

 

Si l’on admet avec Weber qu’« à chaque fois qu’un [chercheur] fait intervenir son propre jugement de valeur, il n’y a plus de comprĂ©hension intĂ©grale des faits »[29], alors il faut s’attarder sur les conditions dans lesquelles on peut atteindre une certaine objectivitĂ© dans le domaine des droits de l’homme. Cela implique de prendre acte de l’indĂ©passable subjectivisme qui s’exprime dans le travail de recherche Ă  diffĂ©rents niveaux, du choix du sujet Ă  son traitement[30]. Autrement dit, il convient de reconnaĂźtre que tout discours peut produire des effets, exercer une influence sur la rĂ©alitĂ©. On sait que le dĂ©veloppement des rĂ©flexions Ă©pistĂ©mologiques a conduit Ă  mettre en doute l’existence d’un langage scientifique permettant de dĂ©crire le rĂ©el avec une parfaite objectivitĂ©[31]. DĂšs lors que l’on admet donc que la neutralitĂ© ne peut ĂȘtre qu’un idĂ©al, que la neutralitĂ© absolue ne peut ĂȘtre atteinte, le problĂšme devient, pour reprendre l’expression de François Ost et Michel Van de Kerchove, d’« entrer dans [un] processus d’objectivité »[32], ou d’objectivation, en dĂ©finissant une mĂ©thode pour parvenir au moins Ă  une neutralitĂ© axiologique.

Cette dĂ©marche peut donner lieu Ă  diffĂ©rents registres d’analyse. On peut concevoir une premiĂšre approche qui consiste Ă  proposer, d’un point de vue thĂ©orique, des conceptualisations pour penser le droit positif, ou bien, dans le sens inverse, de dĂ©crire des phĂ©nomĂšnes prĂ©cis en partant du droit positif pour en Ă©clairer les enjeux. Ces orientations ne peuvent en l’occurrence qu’ĂȘtre introduites de façon sommaire.

Se doter d’instruments conceptuels adaptĂ©s. Dans un premier temps, et sans prĂ©tention Ă©videmment Ă  l’exhaustivitĂ©, l’effort d’objectivation consisterait ainsi Ă  se doter d’instruments conceptuels adaptĂ©s. Pour rĂ©pondre notamment Ă  des questionnements classiques comme « qu’est-ce que le droit Ă  la libertĂ© d’expression » ou « qu’est-ce que le droit Ă  la santé », diffĂ©rentes thĂ©ories des droits subjectifs peuvent par exemple ĂȘtre exploitĂ©es, qui fournissent des concepts plus ou moins opĂ©ratoires pour Ă©clairer la structure interne des droits[33]. Ou bien des travaux tels que ceux du juriste amĂ©ricain Hohfeld fournissent une grille de lecture, autour non seulement du concept de droits mais aussi d’obligations et d’habilitation principalement[34], permettant de penser les droits de l’homme en tant que complexes de normes, en tirant les consĂ©quences du fait que les Ă©noncĂ©s attribuant ces droits peuvent fonder un Ă©ventail de normes trĂšs variĂ©es[35]. Il devient possible grĂące Ă  de tels instruments de conserver des reprĂ©sentations claires, en dĂ©pit de l’escalade rhĂ©torique que l’on voit Ă  l’Ɠuvre dans le discours des acteurs juridiques, par exemple lorsque le lĂ©gislateur qualifie certains droits de l’homme de « fondamentaux », ou affirme le caractĂšre « opposable » de l’un d’eux. En somme, on pense le droit « indĂ©pendamment de la façon dont [les acteurs] prĂ©sentent ou se reprĂ©sentent les choses »[36].

Viser l’apport cognitif. Il est concevable dans un second temps de partir du droit positif et de chercher, par un travail technique sur les textes et dĂ©cisions de justice, Ă  penser les droits de l’homme tel qu’ils se forment au quotidien. Sans faire siennes lĂ  encore des axiologies que le droit vĂ©hicule, et sans porter lui­‑mĂȘme de jugements de valeur, le juriste peut se livrer Ă  une clarification des discours, et Ă  une prĂ©sentation par exemple des avantages et des inconvĂ©nients des diffĂ©rentes techniques de garantie des droits de l’homme. Autrement dit, il s’agirait de viser une comprĂ©hension de la rĂ©alitĂ©, dans une perspective cognitive. Certaines Ă©tudes produites afin d’éclairer les derniĂšres Ă©volutions du contrĂŽle de proportionnalitĂ© des lois en France ont illustrĂ© derniĂšrement les vertus d’une telle voie[37].

Objectiver la pensĂ©e, il importe enfin de le prĂ©ciser, ne signifie pas que l’on devrait se priver de toute approche critique. La critique en droit ne saurait en effet s’épuiser dans les jugements de valeur, mais se dĂ©cline en diffĂ©rentes mĂ©thodes. Or la recherche peut prĂ©cisĂ©ment viser, comme le dĂ©fendent notamment les reprĂ©sentants de l’école analytique du droit (Michel Troper en France[38], Riccardo Guastini en Italie[39], etc.), Ă  « [une] clarification des discours par l’analyse du langage, la mise en Ă©vidence des non-dits, des incohĂ©rences, des contradictions pour offrir (
) aux lecteurs, juristes ou citoyens, une comprĂ©hension des thĂšses en prĂ©sence, un panorama complet des alternatives proposĂ©es sans en privilĂ©gier aucune d’un point de vue moral »[40].

Au bilan, si la frontiĂšre se rĂ©vĂšle souvent difficile Ă  dĂ©celer ou tracer entre les activitĂ©s, l’on gagnerait Ă  faire l’effort de les distinguer dĂšs lors que la perspective retenue conditionne fondamentalement les rĂ©sultats de la recherche, et que cet effort favorise la clartĂ© et la fĂ©conditĂ© du dĂ©bat acadĂ©mique. Mais cette distinction n’a nullement vocation Ă  discrĂ©diter une dĂ©marche au profit d’une autre, tant elles participent toutes d’un certain progrĂšs du droit.

 

[1] Parmi ses diffĂ©rentes contributions, voir notamment Jeremy Bentham, « Sophismes anarchiques », in ƒuvres de J. Bentham, jurisconsulte anglais, Bruxelles, Ă©d. de la SociĂ©tĂ© belge de librairie, 3Ăšme Ă©d., 1840, pp. 523-524.

[2] Hans Kelsen, « La garantie juridictionnelle de la Constitution (La Justice constitutionnelle »), RDP, 1928, pp. 239 et s., oĂč l’auteur regrette le pouvoir que les formules en cause confĂšrent aux institutions amenĂ©es Ă  les interprĂ©ter, dans un contexte caractĂ©risĂ© par le dĂ©veloppement des rĂ©flexions sur la justice constitutionnelle en Europe.

[3] Voir notamment Jacques Chevallier, « Juriste engagé(e) ? », in FrontiÚre du droit, critique des droits, LGDJ, 2007, pp. 305-310.

[4] Henri Dupeyroux, « Les grands problèmes du droit », APD, 1938, p. 14.

[5] DaniÚle Lochak, « La doctrine sous Vichy ou les mésaventures du positivisme » in Les usages sociaux du droit, PUF, 1989, pp. 106-116. Voir les objections de Michel Troper en défense du positivisme juridique, « La doctrine et le positivisme », in Les usages sociaux du droit, op. cit., pp. 286-292.

[6] Jacques Chevallier, « Doctrine juridique et science juridique », in Droit et Société, Éd. juridiques associées/L.G.D.J., 2002, pp. 103-119. Voir aussi Étienne Picard, « Science du droit ou doctrine juridique », in L’unité du droit, Mélanges Drago, Paris, Economica, 1996, pp. 119 et s. ; Sylvie Cimamonti, « Doctrine juridique », in AndrĂ©-Jean Arnaud (dir.), Dictionnaire encyclopĂ©dique de thĂ©orie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 1993, pp. 186 et s. ; Aulis Aarnio, « Dogmatique juridique », in AndrĂ©-Jean Arnaud (dir.), Dictionnaire encyclopĂ©dique de thĂ©orie et de sociologie du droit, op. cit., pp. 188 et s.

[7] Voir ainsi François Ost, Michel Van De Kerchove, « Comment concevoir aujourd’hui la science du droit ? », in Déviance et société, 1987, Vol. 11 – N°2., pp. 183-193 ; François Ost, « Le droit : art, dogmatique ou science ? », confĂ©rence organisĂ©e Ă  l’UniversitĂ© Montpellier 2 le 15 septembre 2009 et dont la vidĂ©o est disponible en ligne Ă  l’adresse suivante : http://www.mshsud.tv/spip.php?article172

[8] Pour une prĂ©sentation de ce rĂŽle par l’auteur et resituĂ©e dans le cadre de sa thĂ©orie des droits fondamentaux, Luigi Ferrajoli, « Fundamental Rights », International Journal of the Sociology of Language – Revue Internationale de SĂ©miotique Juridique, n° 14, 2001, pp. 1-33.

[9] Notons que ce phĂ©nomĂšne d’interaction n’est pas novateur. Voir notamment sur ce sujet : Jean Rivero, « Apologie pour les faiseurs de systèmes », Dalloz, Chron. XXIII, pp. 99 et s. ; « Jurisprudence et doctrine dans l’élaboration du droit administratif », Etudes et documents du Conseil d’Etat, pp. 23 et s. ; Maryse Deguergue, « Les commissaires du gouvernement et la doctrine », in Droits, n° 20, 1994, pp. 125 et s.

[10] Sur ce type d’interprĂ©tation, et son opposition Ă  l’interprĂ©tation dite dĂ©cisionnelle, voir en particulier Riccardo Guastini, « Le rĂ©alisme juridique redĂ©fini », in Revus, n° 19, 2013, pp. 113 et s.

[11] François GĂ©ny, « De l’inconstitutionnalitĂ© des lois ou des autres actes de l’autoritĂ© publique et des sanctions qu’elle comporte dans le droit nouveau de la quatriĂšme RĂ©publique française », Semaine juridique, 1947, pp. 23 et s.

[12] Georges Vedel, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, p. 326.

[13] En ce sens Ă©galement, Jacques Chevallier, « Doctrine juridique et science juridique », op. cit., p. 113, oĂč l’auteur relĂšve : « La doctrine du service public du dĂ©but du siĂšcle, en mĂȘme temps qu’elle construit une nouvelle reprĂ©sentation de l’administration et de l’Etat, rend compte d’un ensemble de transformations que la sociĂ©tĂ© libĂ©rale connaĂźt alors (prĂ©sence beaucoup plus active de l’Etat dans la vie Ă©conomique et sociale, dĂ©veloppement d’aspirations so- ciales nouvelles, renforcement de l’encadrement juridique
) ».

[14] Sur ce point, voir Robert Charvin et Jean-Jacques Sueur, Droits de l’homme et libertés de la personne, Paris, LexisNexis-Litec, « Objectif droit Cours », 2007, p. 2.

[15] Pour un exposĂ© de la problĂ©matique de la titularitĂ© des droits de l’homme par les personnes morales et un rappel des critiques que ce phĂ©nomĂšne a pu susciter, voir en particulier Xavier DuprĂ© de Boulois, « Les droits fondamentaux des personnes morales – 1Ăšre Partie : Pourquoi ? », RDLF 2011, chron. n°15.

[16] Sur ce point, parmi d’autres Ă©tudes, NoĂ©mie Houart, « La genĂšse du droit au logement opposable », Revue des politiques sociales et familiales, AnnĂ©e 2012, n°107, pp. 41-52.

[17] Au dĂ©but des annĂ©es 1980, alors que les droits de l’homme s’imposaient au sein des sociĂ©tĂ©s occidentales en particulier et sur la scĂšne internationale comme un standard incontournable et incontestable, le philosophe constatait non sans amertume l’importance prise dans les dĂ©mocraties modernes par le langage des droits et libertĂ©s et rejetait en des termes forts cet « hĂ©ritage ». « Ainsi les philosophes modernes nous gratifiĂšrent-ils d’un langage dont le rĂ©sultat le plus clair est une plongĂ©e dans le brouillard. Langage indistinct, dangereusement flou, gĂ©nĂ©rateur d’illusions et de fausses revendications impossibles Ă  satisfaire. Si son triomphe est total au XXe siĂšcle, c’est que la dĂ©cadence de la culture est le contrecoup du progrĂšs technique ». La critique est virulente, et gĂ©nĂ©rale : les termes de « droits », de « liberté » – « terme dont s’extĂ©nue Ă  chercher une dĂ©finition », et l’ensemble des formules caractĂ©ristiques du langage des droits et libertĂ©s se trouvaient visĂ©es. Michel Villey, Le droit et les droits de l’homme, Paris, PUF, coll. « Quadrige. Grands textes », 2008, pp. 7-14.

[18] Voir ainsi Hans Kelsen, « La garantie juridictionnelle de la Constitution (La Justice constitutionnelle »), op. cit., pp. 239 et s.

[19] Voir en particulier, Jean Rivero, « Science du droit et droits de l’homme » in Pour les droits de l’homme, Paris, Librairie des libertĂ©s, 1983, pp. 107 et s.

[20] Rappelons qu’il a soutenu que la science doit « dĂ©noncer [les] Ă©vidences pour dĂ©couvrir les lois cachĂ©es » et qu’« il n’y a de science que de ce qui est cachĂ© ». Gaston Bachelard, Le rationalisme appliquĂ©, Paris, PUF, coll. « BibliothĂšque de Philosophie Contemporaine », 4Ăšme Ă©d., 1970, p. 3.

[21] Pour un tableau approfondi, Véronique Champeil-Desplats, Méthodologies du droit et des sciences du droit, Paris, Dalloz, coll. « Méthodes du droit », 2014, 432 p. Pour une recherche récente invitant à une réflexion méthodologique dans le champ du droit public, plus précisément du droit constitutionnel, et présentant un programme épistémologique en ce sens, Xavier Magnon, « Pour un moment épistémologique du droit constitutionnel », Annuaire international de justice constitutionnelle, Economica, 2016, pp.13-25.

[22] Sur ce point, Étienne Picard, « Le ou les jusnaturalismes ? », in Dominique Rousseau, Alexandre Viala (dir.), Le droit, de quelle nature ?, Paris, Montchrestien, 2010, p. 23 et s.

[23] Pour une présentation des divers courants du positivisme juridique, Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaud, Michel Troper (dir.), Le positivisme juridique, Bruxelles, Paris, Story scienta, LGDJ, coll. « La Pensée juridique moderne », 1993, 535 p.

[24] Pour un questionnement rĂ©cent du rĂŽle des Ă©coles de pensĂ©e dans le champ du droit constitutionnel, voir les contributions proposĂ©es dans le cadre du colloque « Quelles doctrines constitutionnelles aujourd’hui pour quel(s) droit(s) constitutionnel(s) demain ? », organisĂ© par l’Institut Maurice Hauriou de l’UniversitĂ© de Toulouse en 2016. Les confĂ©rences sont disponibles en ligne Ă  l’adresse suivante : http://imh.ut-capitole.fr/quelles-doctrines-constitutionnelles-aujourd-hui-pour-quel-s-droit-s-constitutionnel-s-demain-qsq-6-colloque-organise-par-l-imh-585049.kjsp

[25] Marie-Anne Cohendet, « Légitimité, effectivité et validité », in Mélanges Pierre Avril. La République, Montchrestien, 2001, p. 202. Voir Ă©galement Éric Millard, ThĂ©orie gĂ©nĂ©rale du droit, Dalloz, coll. Connaissance du droit, 2006, pp. 18-19 : « Entre thĂ©ories également cohérentes, seules des questions de stratégie recherchée par le sujet peuvent conduire à une préférence. Il peut s’agir d’une stratégie scientifique : la théorie permet-elle ou non un programme descriptif ? Ce qui suppose de la part de celui qui l’évalue qu’il accepte et recherche ce programme, en s’interdisant le recours à des philosophies spéculatives ou prescriptives [
]. Cette stratégie scientifique n’est pas totalement séparable d’une stratégie de type politique : en parlant du droit, sur quoi entendons-nous faire porter l’accent ? Sur des choix politiques effectués par des autorités, légitimes au regard d’une théorie politique officielle, par exemple, la théorie de la séparation des pouvoirs dans un système politique démocratique (le constituant, le législateur), quand bien même ces choix seraient parfois dénués d’effets ».

[26] Éric Millard, « L’aveu théorique comme préalable au travail juridique savant », Communication au VI° congrès français de droit constitutionnel, Montpellier, juin 2005. Actes du VI° congrès français de droit constitutionnel, Montpellier, Juin 2005, Jun 2005, Montpellier, France.

[27] Au sujet de son cas personnel, Bobbio dĂ©clarait ainsi : « s’agissant de l’idéologie, aucune tergiversation n’est possible, je suis jusnaturaliste ; au regard de la méthode, je suis, également avec conviction, positiviste ; en ce qui concerne, enfin, la théorie du droit, je ne suis ni l’un, ni l’autre ». Norberto Bobbio, « Jusnaturalisme et positivisme juridique », in Essais de théorie du droit, Bruylant-LGDJ, 1998, p. 53 ; Giusnaturalismo e positivismo giuridico, Milano, Edizioni di Comunità, 1965, rééd. 1972, pp. 115 et 146.

[28] Voir en particulier les textes parus dans l’ouvrage suivant : Emmanuel DockĂšs (dir.), Au cƓur des combats juridiques : pensĂ©es et tĂ©moignages de juristes engagĂ©s, Paris, Dalloz, coll. « ThĂšmes et commentaires », 2007, 509 p.

[29] Max Weber, Métier et vocation de savant, (1919), Paris, coll. 1018, 1959, p. 89.

[30] Notons que ce subjectivisme a pu ĂȘtre soulignĂ© en des termes forts, notamment, par certains tenants du pragmatisme amĂ©ricain. Voir ainsi William James, Le pragmatisme, Trad. Nathalie Ferron. Éd. StĂ©phane Madelrieux, Paris : Flammarion (Champs), 2007, p. 261 : « Ce que nous disons de la rĂ©alitĂ© dĂ©pend ainsi de l’angle sous lequel nous la regardons. Qu’elle soit ne dĂ©pend que d’elle, mais ce qu’elle est dĂ©pend de l’angle choisi et ce choix dĂ©pend de nous ».

[31] Voir ainsi, par exemple, Thomas Samuel Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Champs‑Flammarion, 1983, rééd. 2003.

[32] François Ost et Michel Van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, Bruxelles, Publications des facultés universitaires Saint-Louis, 1987, p. 83.

[33] Pour un ouvrage procĂ©dant ainsi Ă  l’exposĂ© critique des principales thĂ©ories classiques du droit subjectif, Octavian Ionescu, La notion de droit subjectif dans le droit privĂ©, Bruxelles, E. Bruylant, 2Ăšme Ă©d., 1978, 256 p.

[34] Voir en particulier, Wesley Newcomb Hohfeld, Fundamental Legal Conceptions as Applied in Judicial Reasoning, and Other Legal Essays (dir. Walter Wheeler Cook), New Haven, Yale University press, 1920, 420 p.

[35] Pour une dĂ©monstration en ce sens, nous nous permettons de renvoyer Ă  notre thĂšse, CĂ©dric Roulhac, L’opposabilité des droits et libertés, Bayonne, Paris : Institut universitaire Varenne diff. LGDJ-Lextenso éd., Collection des thèses, 2018, spĂ©c. pp. 400 et s.

[36] Véronique Champeil-Desplats, Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République : principes constitutionnels et justification dans les discours juridiques, PUA, Economica, coll. « Droit public positif. Série ThÚses et travaux universitaires », 2001, p. 272.

[37] Voir ainsi les contributions composant le dossier : « La reconfiguration de l’office du juge de la conventionnalitĂ© de la loi », paru dans la prĂ©sente revue (RDLF 2019, chron. n° 04).

[38] Voir notamment Michel Troper, « Les fonctions de la recherche en droit public interne », in La recherche juridique (droit public), Paris, Economica, 1981, pp. 45 et s., spécialement p. 47.

[39] Voir en particulier Riccardo Guastini, Il diritto come linguaggio. Lezioni, Torino, G. Giappichelli, coll. « Analisi e diritto », Serie teorica, 2001, 232 p.

[40] Isabelle Boucobza, « La thĂ©orie du droit illĂ©gitime et les garanties des droits fondamentaux dans l’Ɠuvre de Luigi Ferrajoli », in Carlos-Miguel Herrera et StĂ©phane Pinon (dir.), La dĂ©mocratie : entre multiplication des droits et contre-pouvoirs sociaux, Paris, KimĂ©, coll. « Nomos & normes », 2011, p. 55.

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