Quantcast
Channel: Revue des droits et libertés fondamentaux
Viewing all articles
Browse latest Browse all 428

Propos introductif

$
0
0

Par François Cafarelli Maître de conférences à l’Université de La Réunion et membre du CRJ (EA 14)

 

La prise en compte du handicap dans le cadre des politiques publiques, bien que toujours insuffisante, n’a cessé de progresser et trouve même aujourd’hui de nouvelles traductions dans le domaine voisin des politiques d’adaptation de la société au vieillissement de la population 1. Ce contexte encourageant ne doit pas faire oublier l’ampleur de la tâche qui reste à accomplir mais rappelle cependant, que l’évolution du cadre légal en matière de gestion du handicap  a pu profondément changer la façon dont le corps social appréhende les difficultés qui y sont liées et dont il considère les personnes en situation de handicap.

Le droit est ainsi un vecteur privilégié de l’amélioration de la condition des personnes en situation de handicap et la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a permis, à ce titre, une profonde évolution à défaut de révolution. Ces rapports privilégiés entre droit et handicap ne sont pas nouveaux. Certes, jusqu’à la fin du 19ème siècle, les rapports entre l’Etat et les personnes en situation de handicap étaient des plus ténus. Seules la charité et l’assistance justifiaient l’intervention des pouvoirs publics, souvent au profit des mutilés de guerre, et il fallait compter sur le dévouement de certains éducateurs pour voir d’autres handicaps (notamment mental) pris en charge, mais de façon très légère. La fin du 19ème siècle marque cependant le commencement des véritables politiques publiques en faveur des personnes en situation de handicap, notamment à travers le développement des droits sociaux, mais essentiellement au profit des travailleurs et des mutilés de guerre. La loi sur les accidents du travail de 1898 met ainsi à la charge de l’employeur une assurance spécifique permettant le versement d’une indemnisation au titre des infirmités acquises dans le cadre du travail. On peut encore évoquer la loi du 26 avril 1924 imposant aux entreprises le recrutement de mutilés de guerre ou celle du 14 mai 1930 qui donnera le droit aux victimes d’accidents du travail d’être admises gratuitement dans les écoles de rééducation professionnelle créées par les militaires. Puis, de façon plus systématique, la création de la sécurité sociale, en 1945, va permettre d’assurer l’ensemble des salariés contre les conséquences de maladies et d’accidents non liés au travail. En dépit de la vocation de la sécurité sociale à indemniser les préjudices résultant d’un dommage extérieur au travail, le lien entre handicap et travail se renforce avec la loi du 23 novembre 1957 sur le reclassement professionnel dans laquelle apparaît le terme de « travailleur handicapé ». Ainsi, avant même la définition juridique de la notion de « handicap » ou de « personne handicapée », apparaît la notion de « travailleur handicapé ».

Il faut attendre le rapport de François Bloch-Lainé, en 1967, « Etude du problème général de l’inadaptation des personnes handicapées », pour que s’engage une nouvelle réflexion, plus transversale, à propos du handicap. Ce rapport a permis l’adoption de deux textes fondateurs : la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales qui a réglementé les conditions de création, de financement, de formation et de statut du personnel des établissements et services du secteur et la loi du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des handicapés qui a fixé le nouveau cadre juridique de l’action des pouvoirs publics. Ce dernier texte modifie profondément le paradigme en matière de gestion du handicap en accordant une importance particulière à la prévention et au dépistage des handicaps. Il est également consacré une obligation éducative pour les enfants et adolescents handicapés ainsi que le droit d’accès des personnes handicapées aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population, ce qui implique, à chaque fois que cela est possible, le maintien dans un cadre ordinaire de travail et de vie. Cette loi est également à l’origine des commissions départementales de l’éducation spéciale (CDES) pour la reconnaissance du handicap chez les enfants de moins de 20 ans et des commissions techniques d’orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) pour cette même reconnaissance chez les adultes. Ce dernier texte marque donc une véritable avancée qualitative dans la gestion du handicap. Il est alors question d’une meilleure intégration des personnes en situation de handicap, c’est-à-dire qu’il s’agit de mettre en place des outils juridiques permettant à la société de leur faire enfin une place. A la suite de ces lois fondatrices, de nombreux textes sont intervenus : des textes sectoriels, relatifs à des handicaps déterminés ou à des institutions précises, permettant de pousser plus avant la logique d’intégration. Cela fait ainsi plus de 40 ans que le droit français s’est véritablement intéressé aux personnes en situation de handicap.

Le bilan de la mise en œuvre de la loi de 1975 est toutefois mitigé car il n’a pas permis de faire une véritable place à ces personnes. Ces dernières étaient accompagnées mais pas véritablement comme des membres à part entière d’une société plurielle. En définitive, la loi de 1975 et ses prolongements insistaient sur le traitement différencié ou adapté des différences et n’ont pas permis de lutter contre le morcellement de la société, notamment en raison du handicap.

Au cours des années 1990, plusieurs bilans de la politique du handicap conduite à partir de la loi de 1975 ont mis en évidence des résultats décevants et cela en dépit d’un investissement financier important de la collectivité 2. Ces bilans invitaient tous à une prise en compte plus significative des obstacles environnementaux (environnement de la personne handicapée), dans tous les domaines de la vie, afin de les réduire. Ces études ont également mis en évidence la nécessité de mettre en place une prise en charge financière des besoins de compensation ; ce qui conduit à la nécessité de reconnaître un droit à la compensation et l’exigence d’accessibilité 3. Ces deux notions, compensation et accessibilité, ont donc été placées au cœur des travaux visant à réformer la loi de 1975. C’est la raison pour laquelle elles structurent la loi du 11 février 2005.

 

Ce texte majeur a modifié en profondeur la politique française du handicap et témoigne d’une véritable évolution conceptuelle du handicap. Alors que ce dernier n’était pas défini dans la loi de 1975, la loi de 2005 propose : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. » 4. Bien plus que celle de 1975, la loi de 2005 vise à garantir l’exercice des droits fondamentaux aux personnes handicapées, alors que la loi de 1975 se limitait à l’affirmation de ces droits.

 

Ainsi, désormais, « Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté. » 5. La loi de 2005 consacre encore le droit des personnes en situation de handicap de participer aux décisions les concernant, notamment au sein de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Elle accorde une place prépondérante à l’accessibilité des bâtiments publics, des logements et des transports mais aussi de l’éducation, de l’emploi, ou de tous les autres secteurs de la vie sociale. Cela montre bien que la politique d’intégration de 1975 fait désormais place à une politique d’inclusion qui se décline dans les domaines de l’éducation, de l’emploi, de la construction ou de l’adaptation du cadre bâti…

La loi de 2005 consacre également le droit à compensation avec une prestation nouvelle, la prestation de compensation du handicap (PCH) pour faciliter le recours aux aides techniques, aux aménagements personnalisés ou à toute autre forme adaptée d’accompagnement.

La loi du 11 février 2005, même si elle a parfois été décriée, porte donc en elle une promesse, une promesse juridique qui a suscité beaucoup d’attentes et d’espérances. Pourtant, le bilan de la mise en œuvre de ce texte reste aujourd’hui contrasté.

Le déploiement de la nouvelle politique inclusive du handicap a bien évidemment un coût, qui pèse lourdement sur le budget des collectivités (notamment les Départements) ou des administrations. Cela amène inévitablement à s’interroger sur la pérennité de ces dispositifs. Cet argument financier est sans aucun doute celui qui est mobilisé le plus fréquemment pour expliquer les limites de l’application de la loi. Il est bien entendu fondé – nul ne peut le contester dans un contexte de crise – mais il reste mal accepté, notamment par les associations de personnes handicapées qui considèrent, à juste titre, que cela fait 40 ans qu’un vrai changement de paradigme en matière d’appréhension du handicap est attendu. Les avancées du nouveau modèle, tout en étant significatives, demeurent donc fragiles et requièrent toujours une mobilisation importante des acteurs qui les soutiennent et souhaitent leur amplification.

Ce contexte, toujours troublé, amène à s’interroger sur les limites de la proclamation juridique d’un droit et sur l’efficacité réelle d’une législation ou d’une réglementation pour changer, en profondeur, une société. Tel est l’objet du colloque qui s’est tenu le 12 mars 2015 à la Faculté de Droit et d’Economie de l’Université de La Réunion que la RDLF a accepté de relayer. Il a pour ambition de questionner les rapports entre droit et handicap, de mesurer l’écart entre la promesse du législateur et ce qui a été effectivement réalisé, et de tracer des perspectives.

Il s’agit ainsi d’identifier, d’abord, les difficultés et les apports d’une véritable définition juridique du handicap. Il faut ainsi comprendre le processus qui a conduit le droit à faire une place au handicap, d’abord au niveau européen, et ensuite en droit interne, sous l’influence du déploiement du principe de non discrimination. A la suite de cela, il faut encore définir ce qu’il faut faire pour garantir l’effectivité des droits qui en découlent. Le point de vue des professionnels du droit, qui travaillent au quotidien à son application et celui des personnes handicapées confrontées à la justice permettent d’éclairer la réflexion théorique.

Ensuite, une fois ces éléments précisés, il s’agira d’apprécier plus concrètement les apports et les insuffisances de la loi de 2005 dans des domaines particuliers (accessibilité, éducation, emploi public ou privé). Là encore, les regards croisés des professionnels du handicap et des associations permettent de donner du relief à la réflexion.

 

Notes:

  1. Loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement
  2. voir notamment : Cour des Comptes, Rapport public particulier, Les politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes, 1993
  3. J. Sanchez, « L’impact de l’évolution conceptuelle du handicap sur les politiques publiques »
  4. article 2 de la loi devenu l’article L.114 du code de l’action sociale et des familles
  5. article 2 de la loi devenu l’article L114-1 du code de l’action sociale et des familles

Viewing all articles
Browse latest Browse all 428

Trending Articles